Propos de Stéphan Hersoen
PAPOTAGES est né de l’envie d’envisager la création du prochain spectacle des SCEN-Ô-FIL sous l’angle premier de l’écriture d’une pièce. Il fallait obtenir un texte original répondant à deux objectifs principaux : s’engager pour défendre des idées et s’émanciper des textes classiques.
En tant que metteur en scène de cette jeune troupe, j’ai encouragé cette démarche car j’ai senti une envie profonde de partir à la conquête de nouveaux espaces. C’était devenu un enjeu majeur pour ces jeunes adultes questionnants et questionnés.
Un peu d’histoire… Les comédiens formant la troupe des SCEN-Ô-FIL sont issus d’ateliers dont j’ai eu la charge pendant six ans, au Théothéâtre (Paris 15ème). De spectacles de fin de cours en spectacles programmés, je pense leur avoir donné l’envie de travailler, et surtout de prendre du plaisir à jouer, avec une rigueur incontournable. Ce socle déterminant enracine le comédien dans un apprentissage des règles de jeu et développe sa liberté d’interprétation.
Son intégration par chacun a permis une participation à différentes manifestations de théâtre comme PALUDISK (2005) avec Les Pas Perdus de Denise Bonnal et LE FESTIVAL DES BONIMENTEURS (2006) avec Je ne Trompe pas mon Mari de Feydeau.
En Juin 2006, je proposais à l’ensemble des jeunes de se regrouper pour former une troupe. Ce passage à l’étage supérieur de l’édifice nous a donné l’envie d’aller plus loin dans la création, d’être plus indépendants et d’être les maillons du processus de création, du début à la fin. Cela n’allait pas sans danger et, malgré les doutes, nous avons décidé d’écrire une pièce.
L’improvisation est devenue le terrain privilégié de nos investigations. De l’absurde mis en scène par les comédiens, s’est imposée l’idée de départ : un papotage clownesque interrompu par l’arrivée de preneurs d’otages. Au long des séances de travail, tous les protagonistes ont trouvé leur place dans l’histoire en faisant émerger un sentiment de violence clairement assumé. Je ne dis pas que les comédiens étaient violents entre eux mais que la situation « d’être pris en otage » soulevait la question de la violence. Encore fallait-il en définir les modalités. Nous avons convenu, d’une façon naturelle, de traiter de sa « gratuité » et de son expression dans la société. A quels niveaux se situe-t-elle ? Comment s’exerce-t-elle ? Contre qui ? Par qui ? Et pourquoi ? Autant de questions auxquelles nous avons tenté de donner une explication en opposition à certains passages où l’amour fait une apparition…
J’ai demandé à Véronique Dimicoli ( comédienne, metteur en scène et auteur ) de se joindre à nous pour continuer l’aventure. Nous avons décidé, d’un commun accord avec les comédiens, de co-écrire PAPOTAGE.
Propos de Véronique Dimicoli
La voix de la violence est très ancienne. Elle naît dans le cerveau reptilien et fait entendre, avec lui, le timbre archaïque de nos instincts de survie, de toutes les tempêtes qui soufflent en nous, frustrations, colères, rancœurs, jalousies, rivalités, échecs de toutes sortes, dont la force nous dépasse.
La violence crie, souvent, notre impuissance à raisonner, à maîtriser, à formuler, à s’exprimer, à s’élever de ce qui nous pèse, à être, à être soi pour embrasser la paix qui s’obstine, parfois, à glisser comme une anguille sur laquelle nos mains trop soucieuses d’elles-mêmes, inconscientes, insouciantes, ignorantes, soumises ou tyranniques, ne cherchent pas à resserrer l’ étreinte.
Au plus profond de la violence, c’est la paix qui hurle son enfant avorté.
Bien sûr, la violence a ses raisons que la raison, bien souvent, ne connaît point,
Bien sûr, la violence répond à la violence
Car comment faire pour rester debout quand l’ennemi nous agresse, comment faire pour sauver notre vie, pour sauver nos valeurs dès lors qu’elles sont menacées, comment faire pour briser les chaînes que certains systèmes répressifs imposent ?
Cette dernière décennie –le phénomène est aujourd'hui passé à la loupe des médias mais remonte, sans doute, à plus loin- a vu naître un nouveau visage de la violence, terrible, implacable, qui nous laisse encore plus démunis : celui d’une violence gratuite, qui va de pair avec une déshumanisation, une dépersonnalisation de l’être humain. Des jeunes qui tuent « comme ça », sans savoir pourquoi ils l’ont fait, parce qu’ils en avaient envie. On pense à des films comme « Bowling for Columbine » de Michael Moore, « Elephant » de Gus Van Sant, qui s’inspirent de tels faits divers.
L’homme est devenu un objet que l’on casse parce qu’on a envie de le casser, comme on casse un jouet parce qu'on sait qu'on pourra s’en procurer un autre. C’est d’une logique simple. « Arrangez-vous avec ça », vous diront les preneurs d’otages de cette pièce. On aurait beau leur envoyer un régiment de psychologues, de psychiatres, de sociologues, d’éducateurs, de policiers, l’équation, hélas, demeurerait insoluble.
Et, au milieu de tout ça, il y a des hommes et des femmes, trop vulnérables, trop humains, sans doute, trop sensibles pour survivre dans cette « jungle », dont la violence du monde a fini par gangrener le cœur et l’esprit, rongés de l’intérieur par des souffrances, extérieures à eux, qu’ils ressentent, qu’ils ont fini par prendre pour les leurs, qui ont fini, d’une certaine façon, par les « posséder » au point que, devenus, malgré eux, de véritables « bombes » humaines, il ne leur reste plus qu’à appuyer sur le déclencheur qui les fera disparaître et, avec eux, les rêves et les espoirs mutilés qui sont leur mal.
Les terroristes de cette pièce n’agissent pas au nom d’une idéologie, d’un dogme, ils n’agissent pas par cynisme, pas pour la construction d’un ordre nouveau, ils sont profondément désespérés, perdus dans l’incompréhension d’eux-mêmes et du monde. Peut-être que quelque chose, ou quelqu’un, plus tôt, aurait pu les sauver. Peut-être. Mais ce « quelque chose », ce « quelqu’un », ne se sont pas manifestés, ou bien leurs yeux, devenus absents, ne les ont pas vus passer.
La violence crie, force, elle a quelque chose à dire, quelque chose avec quoi il ne s’agit pas de s ‘arranger, quelque chose qu’il faut chercher, jusqu’aux racines, pour désamorcer toutes les formes de bombes à retardement. C’est ainsi que la scène du Mikado de cette pièce est à l’image de la vie : un équilibre instable où le moindre écart de vigilance suffit à provoquer un grand « boum ».
Enfin, à l’origine de cette pièce, il y a une rencontre. Quand Stephan Hersoen m’a proposé d’écrire avec lui pour ce projet, d’associer mon regard au sien pour la mise en scène, l’occasion était trop belle de partager un besoin de résistance face à la présence de plus en plus inquiétante et tyrannique de la violence gratuite. Cette collaboration, qui est un véritable îlot de bonheur en soi, est le fruit d’un échange harmonieux, respectueux, en quête du « juste », en quête de paix et de mots qui encouragent à grandir. Tout ce qui est porteur de création.
Derrière toutes les formes de « papotages » que nous pratiquons au quotidien, où le mot, bien souvent, finit par se vider de son sens et de sa puissance, derrière le sphinx de la violence qui nous mitraille de son énigme, il y a la promesse d’une parole agissante et dont on rêverait que la lueur apaisante se propage au monde entier.
Que ce soient de jeunes comédiens qui prêtent leurs voix et leurs corps aux personnages de cette pièce était d’autant plus important. Ils ont, dans leurs mains, un relais de vie à transmettre. On se prend, alors, à rêver que ce soit pour le meilleur. L'énergie, la présence et la force de vie qu'ils donnent à cette pièce nous disent, en tout cas, que c'est possible.
Enfin, et surtout, c’est de plaisir dont il est question ici. Plaisir de la rencontre, plaisir de l’échange, plaisir du jeu, plaisir du travail, plaisir de voir les images prendre forme dans un élan où fusionnent toutes ces belles énergies.
E la nave va